dimanche 17 août 2008

Les cyberenquêteurs français peuvent dormir tranquille

En effet les journalistes qui s'intéressent à leurs activités restent extrêmement déférents, et ne risquent pas de soulever des questions trop embarassantes. À preuve, l'article signé par Laurence Neuer dans Le Point du 14 juillet 2008. On y apprend que la soixantaine d'enquêteurs de l'Office Central de Lutte contre la Criminalité Liée aux Technologies de l'Information et de la Communication (OCLCTIC) sont activement impliqués dans la lutte contre le 'phishing', le détournement de compte bancaire ou le clonage des cartes de paiement contrefaites. Un enquêteur ose même avancer des statistiques pour le moins surprenantes qui n'ont pas eu l'air de faire réagir Madame Neuer. En effet, selon le policier, "aujourd'hui, près de 50% des machines en France sont infectées" [par des logiciels malveillants capables de saisir les mots de passe des internautes lorsqu'ils réalisent des opérations bancaires en ligne]. Devant une affirmation aussi alarmiste, on aurait au moins aimé savoir sur quelles bases statistiques on s'appuie: s'agit-il d'un sondage auprès des vendeurs d'antivirus, d'une étude approfondie des machines du parc informatique français ou d'une enquête de victimisation auprès des internautes français? Si ce chiffre est crédible, alors le nombre d'enquêteurs affecté à cette forme émergente de criminalité est manifestement insuffisant (60 enquêteurs pour la moitié du parc informatique français). Il y a là comme une incohérence qui ne semble pas avoir attisé la curiosité journalistique de Madame Neuer.

Qui plus est, celle-ci aurait pu demander aux enquêteurs rencontrés quelle était la nature de leur collaboration avec les juges d'instruction. Ces derniers sont-il suffisamment préparés pour faire face à la criminalité informatique dont on comprend bien qu'elle prend une place de plus en plus importante, notamment en raison de sa nature extrêmement lucrative? Tant qu'à faire, on aurait pu se poser la question du nombre d'affaires jugées et des taux de condamnation, ou même de la nature des peines prononcées. On aurait enfin pu se demander si la coopération policière internationale fonctionnait de façon satisfaisante, ou si quelques pays impliqués de manière disproportionnée se faisaient encore prier avant d'accorder toute leur attention à des crimes qui ne représentent pour eux qu'une priorité secondaire? L'efficacité d'une poignée d'enquêteurs ne signifie rien si ces derniers doivent ramer à contre-courant dans un système judiciaire inadapté pour faire face à une criminalité aussi complexe, aussi bien sur le plan organisationnel que technique. 

Bref, devant le potentiel journalistique d'un tel sujet (le Washington Post s'est par exemple doté d'un journaliste spécialisé dans les questions de sécurité informatique), on attend encore de la part des quotidiens et des hebdomadaires français des articles qui dépassent le stade de la promotion complaisante pour une unité spécialisée d'enquête, aussi compétente soit-elle.

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